Chaque fin d’année, Strasbourg se transforme en marché de Noël. La presse en parle à grand renfort d’hyperboles : c’est le plus vieux marché de Noël, le plus grand, le plus illuminé d’Europe, parfois le plus beau, son sapin est le plus haut, sa crèche l’une des plus grandes… Certes, mais c’est moins la magnificence de son marché qui lui vaut le titre de « capitale de Noël » que la capacité de ses organisateurs à le réinventer, au fil des siècles. Au 16e siècle déjà, au moment de la Réforme, le Conseil des Quinze, ancêtre du Conseil Municipal, rompait avec la tradition du marché de la Saint-Nicolas pour le remplacer par le Christkindelsmärick, le « Marché de l’Enfant Jésus », situé à l’emplacement de l’actuel Palais des Rohan. Depuis trois ans, sur une idée de M. Paul Meyer – adjoint au Maire à l’Economie Sociale et Solidaire, au commerce et au tourisme – la Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire (CRESS) Grand Est crée une alternative au traditionnel marché de Noël, un marché de l’achat responsable. Cette année encore, l’association l’organise place Grimmeissen, à côté de la Petite France et pas loin du quartier de la gare. L’architecture fonctionnelle et minimaliste du marché Off – dômes futuristes, conteneurs colorés – contraste avec les chalets en bois qui meublent les places alentour et les façades à colombages. La musique contemporaine a remplacé les chants de Noël traditionnels. Ici aussi on mange et on boit pour se réchauffer, on achète, et on prend du temps pour s’arrêter, écouter, et refaire le monde. Le CRESS a réuni 24 exposants – vignerons, agriculteurs, brasseurs, commerçants, fast-food, association d’aide à la personne ou chaîne de TV franco-allemande (Arte) – tous acteurs ou soutien de l’économie sociale et solidaire, et tous ancrés dans le paysage alsacien et strasbourgeois. Là encore, l’objectif du marché est de promouvoir le territoire. Chaque chope de bière de Noël, chaque verre de Riesling, chaque douceur, chaque objet a une histoire, qui raconte des savoir-faire au service de l’intérêt général : la permaculture, pour le vin bio de Durrmann, la biodynamie, pour les Vins Biodynamiques de Strasbourg, le maraîchage biologique, pour les légumes des Jardins de la Montagne Verte, la torréfaction lente et maîtrisée, pour le café bio équitable des Cafés Sati (prix du meilleur torréfacteur aux championnats de France 2017). Fripiers, artisans, techniciens vous expliquent comment ils font du neuf avec du vieux : les meubles d’Emmaüs, les appareils d’Envie, leader européen de la réutilisation des équipements électriques et électroniques (EEE), les jouets de Carijou, les vêtements « seconde main » du Relais, soigneusement sélectionnés et remis en état avant d’être revendus, n’ont rien à envier aux articles qui font de l’œil aux touristes derrière les vitrines du centre ville. L’année dernière, le chiffre d’affaire global généré par l’ensemble des structures présentes pour le mois de décembre était de plus de 200.000 euros. Rien de miraculeux ni de merveilleux, mais un partage de valeurs très fortes. D’ailleurs plusieurs des structures ont le statut de coopératives, comme Le Relais, Cooproduction, Citiz. Les associations coopèrent les unes avec les autres : Libre objet, par exemple, fabrique des cabas avec les emballages des Cafés Sati. La plupart des entreprises s’engagent davantage et travaillent à la réinsertion des personnes loin de l’emploi, comme Carijou, Les Jardins de la Montagne Verte, Le Relais, Libre objet, et certaines aident aussi à l’emploi des personnes en situation de handicap, comme La Ferme Saint André. Des animations ont lieu en soirée et le week-end (pièces de théâtre, documentaires Arte, ciné-débats), organisées chaque semaine autour d’une thématique différente (du 11 au 17 décembre, « Lutte contre les discriminations », et du 18 au 24 « Alimentation responsable ») ; elles posent la question de l’impact écologique et social de nos modes de vie, et de notre responsabilité. Interventions et débats sont graves et plein d’espoir à la fois. Des solutions sont proposées pour produire, échanger, consommer autrement sans s’appauvrir. L’enjeu est de faire connaître l’achat responsable, l’Economie Sociale et Solidaire et les nouvelles économies : économie collaborative et économie du partage, économie de la fonctionnalité, économie circulaire, autant de formes d’économie visant à limiter les impacts négatifs sur la société et l’environnement. Plus ludiques, les ateliers Do It Yourself (DIY) apprennent aux adultes et aux enfants à réaliser des papiers cadeaux écolos, à cuisiner sans gaspiller (un atelier animé avec des réfugiés), à manger sainement, à produire un minimum de déchets. Et pour la photo souvenir, on passe par le conteneur d’Arte pour se faire photographier par 20 appareils à la fois. Loin de la magie de Noël, dites-vous ? Peut-être. Mais très à l’image de Strasbourg, capitale européenne, dynamique et innovante. Paola de Rohan-Csermak Site web: www.cress-alsace.org